Après la formation du gouvernement Duncan 3 /Jean Albert Kabran, jeune cadre du Pdci-Rda : ‘’C’est une déception générale des jeunes’’
Jean Albert Kabran est un jeune cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Originaire de la Région du Gontougo, il se prononce, dans l’interview ci-dessous, sur divers sujets dont le développement de sa région, le parti unifié tel que proposé par le président Henri Konan Bédié, et la volonté du Front populaire ivoirien de participer aux prochaines législatives.
M Kabran, nous allons revenir sur la vie, au niveau de l’organisation sociale, l’actualité régionale de ces derniers temps dans le Gontougo dont vous êtes originaire. Nous avons assisté au retour du Roi Saye1er, chef suprême des Koulangos qui était en exil hors de Côte d’Ivoire pendant plusieurs années. En son absence, le Roi Langô II a été intronisé. Ce qui, du coup, crée une sorte de bicéphalisme à la tête du peuple. Vous qui êtes cadre de la région, à votre avis, comment cela va se gérer?
Merci de l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer et parler à mes frère et sœur du Gontougo et mieux aux ivoiriens.Ce que je peux dire concernant l’actualité chez nous, c’est qu’effectivement, le chef suprême des Koulangos était en exil, au Ghana, et en son absence, il y a eu l’intronisation du Roi Langô II. En réalité, en tant que cadre, en tant que fils, je n’ai pas de préférence et je n’ai pas à faire un choix. Les deux sont mes parents, et je n’ai pas de préférence. Dans ces conditions, nous allons nous orienter vers ce que la coutume nous recommande de faire. Ce sont les chefs Koulangos, eux-mêmes, qui vont trancher, et qui vont prendre la décision. Ce n’est pas un fait nouveau dans notre région, les anciens savent comment trancher. Il y a des dispositions qui sont déjà prédéfinies, sur lesquelles ils s’appuieront pour trancher. Ils ont déjà commencé à travailler sur ce dossier, d’ailleurs. Donc, le moment venu, nous suivrons la décision qu’ils vont prendre. En ce qui me concerne, je travaille pour toutes les populations en général, et je n’ai pas de choix particulier à faire. Je travaille dans le sens de la cohésion sociale, de la paix, afin que la fraternité permette de se concentrer sur le développement du Gontougo.
A en croire certaines personnes, Saye 1er serait taxé de proche du président Laurent Gbagbo, tandis que le Roi Lango II serait, lui, le pion du pouvoir actuel. Si tel était le cas, ne craindriez-vous pas une division du peuple Koulango, avec une partie qui ne se reconnaîtrait que dans les décisions du premier, et l’autre, dans celles du second ? Et, n’y aurait-il pas une méfiance entre les populations ?
Vous m’apprenez beaucoup de choses (rires) ! Sincèrement, en ce qui me concerne, je n’ai pas senti de méfiance des populations les unes envers les autres, par rapport à un chef ou à un autre. Ce que je sais, et qui est vrai, c’est que le chef suprême Sawi 1er est allé en exil suite à la crise post-électorale de 2010. De nombreuses démarches ont été entreprises par les chefs Koulango, eux-mêmes, pour qu’il revienne. Malheureusement, cela n’a pas été possible comme on le souhaitait tous. C’est alors que les chefs, eux-mêmes encore, se sont réunis pour décider, en accord avec l’administration locale dont le Préfet de région, pour combler le vide que cela créait. Et tout cas, cela s’est fait sous le regard de l’administration. Maintenant qu’il est revenu, comme l’administration l’a, elle-même constaté aussi, les chefs vont à nouveau se réunir pour trouver une solution. Ce n’est pas une question d’être arrimé à un pouvoir.Le peuple Koulango est un peuple uni. Pour nous, ce qui est important, c’est comment faire pour sortir la région de sa léthargie. Une population pendant longtemps utilisée comme faire-valoir, qui accompagne les autres. Nous ne voulons plus retourner à cet état-là. Il faut, simplement, que nous travaillions à assurer au peuple de chez nous un mieux-être social, chacun dans son village, de connaître un épanouissement. C’est le plus important.
Cadre du Gontougo, quel état des lieux pouvez-vous faire depuis 2011, entre les projets de développement promis et ceux réalisés ?
Effectivement, l’Etat a initié beaucoup de projets de développement, notamment des écoles construites, des centres de santé, des ponts et des routes, à l’actif du Conseil régional. Je constate que beaucoup de choses ont été faites, mais, compte tenu du retard que notre région a accusé, ceci ne représente qu’une goutte d’eau dans les immenses besoins urgents et pressants de nos populations. Je pense que le Gontougo a besoin d’un ‘’plan Marshall’’ de la part de l’Etat ivoirien pour nous donner, à nous-mêmes, une chance de prendre notre développement en main. Chez nous, il y a de gros villages de 3 000, 4 000, voire 5 000 habitants qui n’ont pas d’électricité ni de route. Heureusement, les dernières décisions du chef de l’Etat ont permis à ces villages de bénéficier de projets d’électrification, ce qui est en cours de réalisation.C’est pourquoi je profite de ces échanges pour dire merci au chef de l’Etat et à son gouvernement. Mais il y a aussi les questions de l’eau, des routes, qui sont en attente, parce que la route permet aux populations d’évacuer leurs productions vers les centres d’achat. Et s’il n’y a pas de route, c’est difficile. Il y a donc toutes ces questions qui sont à l’ordre du jour, de même que celui de la santé, et de l’éducation qu’il ne faut pas oublier. Ce sont là deux questions qu’il ne faut pas occulter. Donc, oui, des réalisations ont été faites, mais elles restent encore très en-deçà des besoins des populations. Et c’est ici que nous, en tant que cadres, il nous faut de l’imagination, parce qu’il ne faut pas tout attendre de l’Etat, et de voir comment nous pouvons être un soutien additionnel important aux actions de l’Etat afin que nos populations puissent sortir de la léthargie.
C’est, donc, ce qui vous emmène à ‘’vous positionner’’ pour les scrutins futurs, comme certaines personnes vous soupçonnent au regard de plusieurs actions que vous menez sur le terrain depuis quelques années ?
En tant que cadre de la région, c’est un sacerdoce pour nous que de nous intéresser à la vie de nos parents. Et nous n’avons pas le droit de nous dérober, de nous éloigner d’eux, parce qu’ils nous ont encadrés quand nous étions tout petits, lorsque nous étions jeunes. Et nous n’avons pas le droit de de les laisser continuer de souffrir. Aujourd’hui, Dieu nous a permis de connaître un minimum de bien-être social, et nous n’avons pas le droit de nous assoir égoïstement, et regarder la souffrance de nos parents, tout en n’ayant pas la prétention de dire que nous avons la solution à tous leurs problèmes. Moi, à mon modeste niveau, je pose les actes que je peux poser dans le sens de l’amélioration de leur cadre et mode de vie. Tant que je n’ai pas la légitimité nécessaire qui puisse me permettre de mener des actions d’envergure, il me serait difficile d’être encore plus efficace. Et il faut comprendre que l’objectif d’un mandat politique que je pourrais solliciter, si mon parti qui est le PDCIRDA, m’en donnait l’occasion, serait de me mettre davantage au service des parents. Mais nous n’entreprendrions rien hors de la ligne politique de notre parti. Alors, nous sommes prêts, nous travaillons comme nous devons le faire, à notre rythme, en regardant l’évolution que cela peut offrir à nos parents.
Vous l’avez dit, vous avez besoin du soutien de vos parents afin de mieux les soutenir. Et alors, qu’est-ce que vous leur demandez ?
Je ne peux rien faire si je n’ai pas le soutien des parents. Et je n’ai pas la prétention d’avoir toutes les solutions aux problèmes qui se posent à eux. Par ailleurs, je n’ai pas la prétention de résoudre tous les problèmes de nos parents. Je pense avoir la capacité physique, intellectuelle et morale pour faire ce que Dieu me permet de faire dans l’objectif du développement. Mais, si je n’ai pas leur soutien, si je n’ai pas le soutien de mes parents, tout ce que je ferais ne serait que comme un coup d’épée dans l’eau. On a des ambitions, il y a des choses que nous voulons faire, mais je ne réussirai pas sans le soutien de mes parents et de mon parti. …
… Sans non plus le soutien de Dieu ! Vous êtes d’une région à majorité musulmane. Au regard de l’actualité sous-régionale, notamment avec les attaques terroristes de groupes islamistes, quel message de paix, de réconciliation et de cohésion sociale que vous pouvez lancer à l’endroit de vos parents ?
Ce que je peux dire, c’est que chacun de nous peut avoir sa religion, son idéal politique, etc., mais ce qui nous rassemble tous, au niveau de la région, c’est le développement, c’est comment travailler pour sortir nos parents de la pauvreté. Alors, si notre objectif est de faire en sorte de connaître le développement de notre région, nous devons être capables de nous élever au-dessus de nos divergences politiques, religieuses, et instaurer un minimum de communication. Je pense que c’est important. Parce que, un parti politique, fut-il grand, ne peut cerner à lui seul tous les problèmes des populations. Or, faire la politique, c’est nécessairement travailler dans le sens d’améliorer le bien-être des populations ; de nos parents. Ce n’est pas de faire la politique pour juste le plaisir de faire de la politique. Alors, le message fort que je peux lancer dans le sens que vous indiquez, c’est de dire ‘’oui, il peut y avoir des frustrations, oui il peut y avoir des blessures, oui on peut avoir manqué de respect à quelqu’un, etc.’’, mais la première chose à faire, c’est de communiquer, et d’avoir à l’esprit que ce qui nous intéresse plus, c’est le développement de notre région. Je pense qu’au fil du temps, nous allons davantage peaufiner les choses et rentrer dans le détail.
Pour finir, nous allons aborder deux questions d’actualité. La première, c’est la réunification des partis qui composent le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (le Rhdp) lancée par le président Henri Konan Bédié, qui invite les autres à rejoindre le Pdci-Rda d’où ils étaient sortis à un moment de leur parcours. La deuxième, c’est la formation du dernier gouvernement baptisé ‘’gouvernement Duncan III’’. Ainsi, après la dernière présidentielle, que vous inspirent ces deux sujets ?
Concernant le premier sujet évoqué, sur le Rhdp, je pense que les choses sont claires. Le président Bédié a souhaité solennellement que tous les autres partis qui se réclament du président Houphouët, de l’houphouëtisme, rejoignent l’idéal politique du président Houphouët, c\'est-à-dire, se retrouver dans une même famille politique, qui lui était chère, et qui n’est autre que le Pdci-Rda. Alors, en ce qui me concerne, je n’ai pas une autre ligne, en dehors de celle-là. Je pense que nos aînés, au niveau du Bureau politique, et les membres du comité des sages, sont en train de travailler dans ce sens-là, afin que les points de vue des uns et des autres se rejoignent. Il peut y avoir des ‘’irréductibles’’ certainement, mais, je pense que l’essentiel, c’est de travailler à l’unité. Le président Houphouët-Boigny nous a laissé un héritage, qui est le Pdci-Rda, et qui lui tenait à cœur. Quand nous avons grandi, nous avons vu un peu la fin du président Houphouët, et nous avons eu le temps de suivre son enseignement. Et par la suite, avec le président Bédié. Donc, je pense que oui, le président Bédié a eu raison de lancer ce message-là, et je pense que cela va finir par se faire. Concernant le second point sur la formation du gouvernement, il faut dire que c’est le président de la République qui a autorité de former son gouvernement, et il l’a fait. Et je n’ai pas de commentaires particuliers à faire. Cependant, je voudrais faire quelques observations, surtout au niveau du Pdci. En tant que jeune, le sentiment qu’on a, c’est que la jeunesse n’a pas été prise en compte au niveau du Pdci, pas seulement au niveau du gouvernement, mais même au niveau des postes de responsabilité, dans l’administration, les sociétés d’Etat. Et cela, il faut le dire. La jeunesse n’est pas responsabilisée, et à cet effet, je pense que c’est une erreur que le Pdci est en train de commettre. Parce que, vous ne pouvez pas prétendre laisser un héritage aux jeunes si vous ne leur donnez pas les outils de sa gestion, si vous ne les formez pas. La meilleure formation en politique, c’est par l’apprentissage. Il faut permettre aux jeunes d’aller au front, de commettre des erreurs, qu’on corrige, etc. Je lance donc un appel à la direction du parti, afin que cela se corrige. Et aujourd’hui, cette situation crée un sentiment de frustration. C’est de tout cela que nous avons discuté il y a quelques jours avec le Secrétariatexécutif chargé de l’encadrement des jeunes, afin qu’il le transmette au Secrétariat exécutif et au président. En tout cas, les jeunes ont parlé, et le Secrétaire exécutif est la personne la mieux indiquée pour transmettre cela à la direction du parti. Pour me résumer, c’est le sentiment de déception générale des jeunes. Parce qu’on ne leur offre pas de perceptive pour l’avenir, les jeunes pensent qu’il y a un manque total de confiance en eux. Et c’est dangereux.
Le Front populaire ivoirien, le parti de l’ex-chef de l’Etat Laurent Gbagbo, entend se présenter aux prochaines législatives, ainsi que les autres scrutins qui vont suivre, après avoir boycotté le recensement général des populations et de l’habitat et le scrutin présidentiel, du moins en ce qui concerne une partie. Quels sentiments cela vous donne-t-il ?
Je trouve que c’est une bonne chose que le Fpi ait enfin compris que le jeu politique se fait en étant présent. C’est ce qu’ils n’avaient pas compris lors des dernières législatives (décembre 2011, ndlr). Alors, qu’ils décident aujourd’hui de participer à des élections, je pense que c’est une bonne chose, et cela ne fait que faire avancer la démocratie dans notre pays. Cela dit, nous, au niveau du Pdci, ce n’est pas ce qui nous inquiète. Nous sommes sereins, et nous savons que nous allons plutôt gagner de nouveaux sièges. Et nous allons le faire beaucoup plus dans le cadre de notre alliance, au Rhdp. Si Dieu nous accorde la grâce d’aller au parti unifié avant les prochaines législatives, eh bien ! Ce sera la totale. En tout état de cause, je pense que tout cela est l’effet corolaire de l’Appel de Daoukro. Je le disais la dernière fois, avec des amis, qu’en réalité, l’Appel de Daoukro est un véritable ‘’OPA politique’’ que le président BEDIE a réalisé sur le monde politique en Côte d’Ivoire. Parce que, quand on lit bien dans ce qu’il a dit, les gens ne se focaliserait pas seulement sur le soutien au président Ouattara. Non, il n’y a pas que cela. Il y a aussi qu’il nous a exhortés à l’union au sein de notre famille politique, qui est le Rhdp, de sorte à gérer le pouvoir de façon alternée en notre sein. Cela sous-entend que les autres partis politiques, qui ne sont pas Houphouëtistes, devraient se rassembler à leur tour de sorte à constituer une alternative crédible aux yeux des ivoiriens, seuls juges. Cela crée un cadre sein de gestion des affaires politiques dans le pays. Le président Bédié vient de trouver, par l’Appel de Daoukro, la solution aux maux politiques de notre pays.