Côte d’Ivoire / Prostitution 2.0 à Abidjan : les nouvelles techniques des travailleuses du sexe (enquête)
La prostitution à Abidjan est même devenue un métier rentable grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic) : Facebook, Instagram, Tweeter, Whatsapp... Une immersion dans l’univers des ‘‘professionnelles du sexe’’ et leurs nouvelles techniques de drague pour comprendre l’organisation, le fonctionnement et les acteurs qui tirent profit du plus vieux métier au monde.
Avant, pendant et après le 5ème Sommet Union africaine-Union européenne qui s’est tenu les 29 et 30 novembre 2017 à Abidjan, de nombreux invités de marque ont pu prendre le pool de la nuit sur les bords de la lagune Ebrié. Des escort girls, triées sur le volet, étaient à leurs petits soins dans de luxueux hôtels pour les aider à oublier les harassantes heures de travaux. Cheffe d’entreprise la journée et prostituée la nuit tombée, celle que l’on surnomme la Mama dans le milieu et son personnel de jeunes filles gardent un très bon souvenir du sommet d’Abidjan. Vingt une belles de nuits qu’on prendrait pour des anges, choisies parmi les plus belles de son écurie ont reçu comme consigne de réserver le traditionnel akwaba (bonne arrivée) aux participants et leur donner l’envie de revenir en Côte d’Ivoire. Avec autant de personnalités pour une rencontre au sommet, ces ‘‘ambassadrices’’ d’un nouveau genre n’ont pas chômé. La moisson, aux dires des escort girls, a été à la hauteur de l’événement. La Mama a le sourire quand elle fait le point des deux jours de sommet. La somme de 18 millions de FCFA aurait renfloué sa caisse. Ses masseuses professionnelles et les escort girls ont touché, chacune, entre 350 mille et 2 millions de FCFA la nuitée. La Mama n’a pas voulu changer son équipe qui lui fait gagner autant de fric. A la fin du sommet, la patronne n’a pas baissé pavillon. Bien au contraire, elle et ses filles continuent leur job pour satisfaire leurs nombreux clients…
Il est 23h 17 minutes. Ce samedi 17 décembre, sous une fine pluie occasionnant une nuit glaciale, les noctambules sont sur pied dans les bars, boîtes de nuit, night clubs et maquis de la capitale. Ils profitent, à fond, de la vie. Entre sonorités musicales, la danse et l’alcool qui coule à flot, le sexe est également de la fête. Vêtue d’une robe noire qui lui tombe aux genoux, assortie de talons hauts, Béti, âgée de 19 ans, descend avec grâce d’un taxi. Elle a un rendez-vous professionnel avec un client dans un luxueux hôtel à Cocody. Un influent homme d’affaires. Le branchement entre Béti et son amant d’un soir a été possible grâce à Yves, un agent de l’hôtel. Yves a en sa possession un catalogue d’adresses de belles filles avec leurs photos. Béti s’installe au café de l’hôtel où l’entendait impatiemment son client. Sa cible, ce sont les grosses pointures : les religieux, les politiques, les hommes d’affaires et les stars du ballon rond qu’elle arrive à plumer avec la manière. Etudiante en master 2, elle exerce le métier d’escort girl. Béti gagne beaucoup d’argent grâce à sa beauté attirante. Trois ans qu’elle est inscrite dans les catalogues des grands hôtels d’Abidjan ainsi que ceux de l’intérieur du pays. Etudiante la journée et travailleuse du sexe les nuits, et parfois la journée les week-ends. Béti gagne entre 150 et 300 mille FCFA, la nuit. Ce qui lui permet de faire face à ses charges. Elle loue un studio de haut standing à Cocody-Angré et s’occupe de ses parents qui habitent à Yopougon-Selmer.Comme elle, Coumba O., Ivoiro-sénégalaise, la Mama, vivant à Grand-Bassam, est spécialiste du massage intime. Un subterfuge pour exercer son job dans la pure discrétion. Vêtue d’un pantalon-collant noir surmonté d’une culotte jean blanche avec sa belle taille, son beau teint noir et son sourire éclatant, Coumba a un réseau bien étoffé. Elle ne rate aucun grand événement sur le vieux continent : conférences, sommets, colloques… A 24 heures ou 72 heures des rencontres internationales, elle envoie en mission des membres de sa ‘’team’’, quelque soit le pays. Très bien organisée, la Mama est à la tête d’un empire noir qui génère des millions de FCFA par mois. Elle emploie 36 filles dans son écurie. Elle organise les rencontres avec les clients et prend 35% sur chaque déplacement des filles pour le compte de son entreprise. En moyenne, Coumba s’en tire avec 10 à 15 millions de FCFA par mois. Symphora, 28 ans, recrutée il y a à peine six mois, raconte son juteux business. « C’est très simple, nous sommes en contact avec les grands hôtels des capitales africaines grâce aux Ntic. Dès qu’on nous informe qu’il y a une rencontre internationale, une équipe est immédiatement envoyée sur les lieux. Une fois sur place, nous nous habillons très sexy en laissant entrevoir nos jambes et nos seins pour faire baver les hommes. Nous déambulons dans tous les couloirs du réceptif hôtelier pour exhiber notre potentiel que Dieu nous a donné. Quand il fait chaud, par exemple, nous nous mettons à deux ou à trois pour causer autour d’un pot au bar de l’hôtel ou à la réception. Au besoin, nous nous mettons en maillot et rodons autour de la piscine. Notre accoutrement attire forcément des regards. Ainsi, nous arrivons à séduire des mecs qui nous invitent, soit à trinquer, soit à nager. Nous leur faisons croire, au cours de nos conversations, que nous faisons des affaires dans un domaine bien précis. Vous savez, les hommes qui ont beaucoup d’argent gobent facilement tout ce des belles filles comme nous leur racontons. Et le coup est joué. On fait tout pour que les hommes succombent à notre charme. Le reste est un jeu d’enfant. C’est ‘‘no pitié in business’’ ! », explique-t-elle avec un brin d’humour. Elle confie qu’il arrive que des filles tombent parfois sur des tristes individus mal intentionnés. « Dans ce cas, notre seule arme, c’est notre solidarité. On fait appel aux autres filles pour se tirer d’affaire », relate Symphora qui se souvient encore de la bonne pioche d’une de ses copines qui a touché près de 5 millions de FCFA avec un client qatari au cours d’une soirée en Guinée-équatoriale lors de la Coupe d’Afrique des nations (Can). « Tu peux tomber sur un client généreux qui te propose 200, 300, 500, 700 voire un million de FCFA en plus des cadeaux. Les mauvais jours, un client peut te faire des promesses qu’il ne tient pas », ajoute-t-elle.
Les 14 et 23 ans en première ligne
La prostitution a pris ces derniers temps un coup de jeunesse avec l’arrivée sur le marché des jeunes filles dont l’âge varie entre 14 et 23 ans. Pétoulé, plus connue sous le sobriquet de la ‘‘Dédja’’, âgée de 28 ans, rencontrée à la ‘‘rue princesse’’ à Yopougon soutient que le plus vieux métier ne réussit plus aux femmes mûres. «Aujourd’hui, ce sont les petites filles qui ont la côte. Du fait du développement des Ntic et des réseaux sociaux, nous apprenons plus vite pour rentrer dans la cour des grands. A chacune d'être responsable de ses actes », assure-t-elle. Au quartier Koweït et Niangon-Maroc, une fois la nuit tombée, ces adolescentes s'habillent dans des tenues très osées pour errer dans les points chauds sous l’œil vigilant des proxénètes qui rôdent.
Les proxénètes, ces incontournables
Les rendez-vous professionnels sont, pour la plupart, arrangés à des prix variant entre 5000 et 20.000 FCFA par le proxénète. Son ‘‘pourboire’’ s’élève à 5000 FCFA sur tous montants oscillant entre 15 et 20 mille FCFA. L’entremetteur encaisse son dû avant de libérer la jeune fille dans les bras du client. Ce racket fonctionne très souvent dans les bars et autres boîtes de nuit. A Abobo, par exemple, devant ‘‘Le Foxxy bar’’ situé en face de la pharmacie Abobo-Té, on retrouve des filles encore mineures, proie prisée des noctambules. Avec la complicité du proxénète du coin. Issa Badra, mécanicien et célibataire qui fréquence cet endroit, raconte comment il s’éclate quand il veut passer de bons moments. « Elles sont innocentes mais elles savent très bien faire l'amour. En plus avec elles, il est facile d'assouvir ses fantasmes tant que tu mises (ndlr, donner de l'argent) », raconte-t-il avec beaucoup de gestes.
La prostitution 2.0
« Pour mon business, je me connecte sur Facebook et je poste des photos très sexy. Les hommes qui sont intéressés par mon profil me contactent. Au cours de nos échanges, on juge le prix. Une fois qu’on tombe d’accord, je lui indique où on peut se retrouver. Il peut également me donner rendez-vous dans un endroit bien connu. Mais le client paie mon argent avant de passer à l’acte », révèle Clara. Avant de poursuivre : « Sur Facebook, il suffit de mettre le client en confiance. C’est en fonction de ses exigences qu'on fixe le prix », ajoute-t-elle. Solange K., déscolarisée et sans emploi, confie pour sa part, qu’il suffit d’envoyer une photo très sexy pour faire trembler les hommes. « C’est un atout de séduction irrésistible. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus des plateformes incontournables pour exercer le plus vieux métier du monde », se convainc Solange. En effet, Facebook, Tweeter, instergram, Whatsapp… favorisent les nouvelles techniques d’approche au service des prostituées. Pour avoir des clients toujours aux aguets, les jeunes filles n’hésitent pas à poster des photos en exhibant leur corps. La suite se passe en discussion privée. Cette nouvelle forme de ‘‘prostitution hight tech’’ emploie toutes les techniques subtiles pour attirer les amateurs de sensations fortes. Martine, jeune étudiante de 21 ans, vivant à Cocody « recherche homme sympa, gentil, généreux et responsable pour une rencontre magique et inoubliable », peut-on lire sur sa page Facebook. Cette technique de drague, aux antipodes de la vieille technique qui consiste à happer les automobilistes et autres passants le long des rues d’Abidjan, est de plus en plus à la mode dans le milieu de la prostitution de luxe. « C’était l’époque des vieilles mères », ricane Martine. Plusieurs clubs se créent pour enrôler les jeunes filles. Bastou, une ex-membre d’un club, explique le fonctionnement de la nouvelle trouvaille des prostituées. Selon elle, ces clubs sont créés ou financés par de gros bonnets. « Ça rapporte beaucoup d’argent. La passe avec une fille inscrite dans un club coûte 40.000 FCFA. C’est très bien organisé. Car, seuls les initiés y ont droit. Chaque membre a un mot de passe », explique-t-elle. De célèbres clubs, réservés à la gent féminine aisée, ont pignon sur rue. ‘‘Sexy Body’’, ‘‘Agence Magic’’, ‘‘Agence larenescort VIP’’… Quand un client intéressé appelle la réception, celle-ci lui donne tous les détails. L’heure est facturée à 40.000 FCFA, la nuit à 150.000 FCFA et les ‘‘voyages d’affaires’’ à partir de 200.000 FCFA. Ces clubs sont situés, pour la plupart, à la Riviera, à Angré, Marcory, Zone 4. Avec des filiales dans des pays européens. A la Riviera II, pour ne prendre que cet exemple, l’agence ‘‘Afribaba’’ a choisi une villa discrète pour ses activités. Gardée par des vigiles aux mines patibulaires, il faut montrer patte blanche pour franchir le grand portail. « Ici, les véhiculent rentrent et ressortent les vitres fermées. Je n’ai jamais aperçu les occupants. Les dames arrivent à bord de leur propre véhicule. Elles ont toutes des cartes d’accès électronique. Le ballet des grosses cylindrées commence à partir de 16 heures jusqu’au petit matin », confie un vigile sous couvert d’anonymat. Contacté dans le cadre de cette enquête, le commissaire de la Brigade mondaine, n’a pas donné suite à nos sollicitations. « Je ne peux pas vous parler sans l’accord de ma hiérarchie. Passez par la procédure avant de vous répondre. Ça fait 28 ans que je suis policier et c’est comme ça que ça marche. Adressez un courrier au ministère de l’Intérieur qui, à son tour, va informer le Directeur général de la police. Lequel pourra m’autoriser à répondre à vos préoccupations. Sans cette démarche, je ne peux pas me prêter à vos questions », a instruit Mme Yvone OulaÏ.
R.K.
Les confidences d’une ex-prostituée : « Grâce à la prostitution, je suis une femme autonome et épanouie »
« Sylvie Beau Cuit », c’est son surnom dans le milieu des belles de nuit. Elle a exercé le plus vieux métier au monde pendant huit longues années de sa vie en tant que prostituée dans des bars à Abobo-Samaké, Mahou, Angré, Riviera. Son dernier show, elle l’a fait dans le célèbre bar ‘‘Le Tifolie’’ à Marcory. Femme au foyer et mère de deux merveilleuses filles, Sylvie ne regrette pas son passé de prostituée. C’est avec une certaine fierté qu’elle parle de ce pan de sa vie. Rencontrée à son domicile à Paillet, elle s’est confiée sans gène et avec son large sourire. « J’ai arrêté ce travail suite à la destruction de notre bar en 2014 par la ministre Anne Desirée Ouloto. Aujourd’hui, j’ai deux magasins de cosmétiques et de pagnes à Abidjan et un à Gagnoa. J’ai mis des filles là-bas pour gérer. Je passe dans mes magasins trois fois par semaine. Je gagne bien ma vie. Je suis mariée à un colonel de l’armée qui m’a rencontrée au bar. Nous avons deux filles. Il se fout de mon passé », explique-t-elle, non sans inviter ses sœurs qui exercent encore ce métier de penser à la reconversion. « Je demande à mes anciennes copines et aux jeunes filles, qui se prostituent aujourd’hui à cause d’argent, d’arrêter et d’apprendre un métier. Quand je vois mes anciens clients, je me cache. J’ai changé de numéro et de look pour ne pas qu’ils me reconnaissent. J’ai donné ma vie à Dieu. Je les invite à suivre mon exemple », exhorte-elle en versant quelques sanglots. Elle nous apprend que beaucoup parmi ses ex-copines sont parties en Europe avec leurs époux blancs. Quand d’autres, comme elle, jouissent aujourd’hui d’une autonomie financière grâce au plus vieux métier au monde. En se lançant dans le commerce ou en s’installant à leur propre compte.
R. K