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L\'affaire Aurier ou AurierGate, soyons honnêtes, n\'aurait jamais existé si, toutes choses égales par ailleurs, il ne s\'agissait pas du PSG. Et d\'ailleurs faut-il en parler encore et toujours au double risque d\'ajouter du volume au bruit médiatique et d\'arriver après la bataille en donneur de leçons promettant la clarté, la prise de hauteur et l\'intelligence du propos là où tout a été dit ?

 

Mais il y a eu aussi le superbe billet de Vincent Glad qui, mobilisant le travail de la nethnographe américaine Danah Boyd, explique que Serge Aurier néglige les frontières entre espace privé et public, convaincu que ses propos resteront limités à son audience de pairs :

 

«En somme, comme de nombreux ados imprudents, Serge Aurier n’a pas réglé ses paramètres de confidentialité technique mais uniquement ses parame?tres de confidentialité sociaux. En postulant (de manière évidemment absurde pour un joueur de foot pro) que le contexte d’énonciation et de production de sa vidéo rejetait d’emblée toute personne extérieure à son milieu de la conversation.»

 

Dès le 14 février, Mathieu Grégoire, Alexandre Hervaud et Grégory Schneider de Libé insistent sur les conditions de production de ce live en insistant sur la part de mise en scène. C’est la même idée défendue par l’ethnologue Julien Goron dans une interview accordée à 20 minutes.

 

«Dans le scandale qui est fait autour de Serge Aurier, c\'est bien la sous-culture de banlieue que l\'on retrouve en coulisse qui resurgit»

«Lorsqu’ils (les jeunes joueurs) sont dans un contexte acade?mique, en présence de leur \"coach\" par exemple, ils adopteront un comportement exemplaire. En revanche, en coulisse, ils peuvent se transformer et devenir des trublions.

 

Si l’institution tient à les mettre au pas pour qu’ils fassent bonne figure en société, eux tiennent à rester conséquents à la sociabilité qu’on a coutume de voir chez les jeunes de banlieue. Dans le scandale qui est fait autour de Serge Aurier, c’est bien la sous-culture de banlieue que l’on retrouve en coulisse qui resurgit.»

 

Il n’a en effet pas fallu longtemps pour voir ressurgir le énième couplet éculé sur la débilité des joueurs vulgaires et surpayés. Certains ont même invoqué le pénal pour mettre le joueur en prison… Il faut alors rappeler deux choses.

 

Tout d’abord, la majorité des footballeurs a une activité digitale. Elle est plutôt maîtrisée (trop ?) et je ne suis pas certain qu’on dénombre tellement plus de failles dans ce sport que dans la sphère politique par exemple.

 

Certains joueurs se distinguent même par un usage pertinent, sincère et décalé (suivez donc Manu Imorou, Pierre Bouby ou encore Nicolas Benezet). Ensuite, il faut remarquer que le footballeur n\'est pas le seul travailleur à commettre des impairs sur les médias sociaux.

 

Faut-il former le footballeur au bon usage des réseaux sociaux?

On dit souvent d’un joueur professionnel que son métier ne consiste pas seulement à être bon sur le terrain mais aussi de plus en plus en dehors. Sur les plateaux télé, les médias sociaux, dans la presse, il véhicule l’image de son club.

 

Éviter l’affaire Aurier ou encore celle qui avait déjà affecté le PSG il y a moins d’un an peut s’envisager en évaluant le jeune joueur pas seulement sur ses compétences sportives mais aussi sur sa culture numérique. Comment ? Avec un outil qui existe déjà.

 

 À l’école, au collège et au lycée, le brevet informatique et internet répond à la nécessité de dispenser à chaque futur citoyen la formation qui, à terme, lui permettra de faire une utilisation raisonnée des technologies de l\'information et de la communication.

 

Cette formation permet également de percevoir les possibilités et les limites des traitements informatisés, de faire preuve d\'esprit critique face aux résultats de ces traitements. Elle donne aussi des moyens d\'identifier les contraintes juridiques et sociales dans lesquelles s\'inscrivent ces utilisations.

 

Les élèves doivent donc valider des compétences dans quatre domaines comme par exemple adopter une attitude responsable ou encore communiquer, échangé.

 

Le référentiel 2013 est tout indiqué. Un jeune footballeur est-il en mesure de «paramétrer ses applications et les services en ligne utilisés de façon à gérer et contrôler ses traces», peut-il «être responsable de toutes ses publications y compris lors de l’utilisation d’un pseudonyme», ou encore «s’exprimer via les réseaux en identifiant la qualité de l’espace de publication (publique, privée, professionnelle, personnelle)» et enfin, sait-il «construire des identités adaptées aux différents contextes (public, privé, professionnel, personnel).»

 

Si l’affaire Aurier rappelle que les plus jeunes joueurs, comme n’importe qui d’autre d’ailleurs, doivent être sensibilisés au bon usage des outils numériques, il faut aussi admettre que ce dérapage ne reflète en rien l’utilisation du plus grand nombre. C’est l’aspérité et le ton décalé qui suscitent l’engagement des fans. À trop vouloir cadrer, verrouiller, institutionnaliser la communication des joueurs on risque d’ajouter de la platitude dans un univers déjà frileux.

 

Boris Helleu est Maître de Conférences à l’Université de Caen Basse-Normandie où il dirige le master 2 Management. Ses travaux interrogent les évolutions économiques et marketing du sport professionnel en Europe comme aux États-Unis.

 

Il s’intéresse plus particulièrement à la digitalisation du spectacle sportif et à l’usage des médias sociaux par les acteurs du sport. Il commente l’actualité du sport sur Twitter comme sur son blog.

 

 

Source : FF