FATOU DIOME, LA NOUVELLE PASIONARIA DU TIERS-MONDE
On la savait immense écrivaine, mais depuis une semaine et son coup de gueule prononcé contre les élites occidentales, suite au drame de Lampedusa, elle a pris une dimension médiatique plus considérable. Fatou Diome ou la nouvelle voix des sans-voix.
Comme un obus, l’écrivaine d’origine sénégalaise, Fatou Diome a laissé exploser sa colère contre les politiques d’immigration de l’Union européenne (Ue). Invitée de l’émission Ce soir ou jamais sur France 2 le 24 avril dernier autour du thème : «Après le drame de Lampedusa, peut-on accueillir toute la misère du monde», l’écrivaine, le verbe incisif, a adressé un réquisitoire sans complaisance à «une Europe hypocrite» face au drame des Africains. Un véritable uppercut ! Seul Battling Siki pouvait cogner aussi fort. A ses autres interlocuteurs, il ne restait plus qu’assez de dents pour afficher un sourire étourdi, à la manière d’un succulent épisode de son dernier ouvrage, «Impossible de grandir».
Depuis cette sortie fracassante, «a star is born». Fatou Diome est, depuis, la révélation de la semaine. Sur les réseaux sociaux, il y en a plus que pour elle. La vidéo où elle «descend en flammes» l’Europe a fait le tour du web. Elle est devenue pour cette jeunesse africaine «la voix des sans voix». Déjà dans son premier roman, le «Ventre de l’Atlantique», elle alertait sur ces centaines d’Africains qui se noyaient en Méditerranée. Aujourd’hui, elle constate avec dégoût que le nombre s’est considérablement accru.
La phrase choc : «On sera riches ensemble ou on va se noyer tous ensemble», a été repris des milliers de fois sur les réseaux sociaux. «Les gens qui meurent sur les plages, et je mesure mes mots, si c’étaient des Blancs, la terre entière serait en train de trembler. Ce sont des Noirs et des Arabes, alors eux, quand ils meurent, ça coûte moins cher (…). Si on voulait sauver les gens dans l’Atlantique, dans la Méditerranée, on le ferait, parce que les moyens qu’on a mis pour le Frontex, on aurait pu les utiliser pour sauver les gens». Ces phrases qui retentissent encore dans l’Hexagone ont séduit des millions de téléspectateurs, qui ont applaudi des deux mains à ce puissant plaidoyer.
Mental d’acier
Pour comprendre la colère et l’indignation de cette jeune écrivaine, il faut se pencher sur son royaume d’enfance. Car, le succès de Fatou Diome est devenu le fruit d’un parcours à la fois heurté et passionné. Stylée, incisive, avec un franc-parler qui laisse pantois, Fatou Diome n’est pas seulement cette écrivaine libérée qui incarne une Afrique debout, elle a aussi une histoire. Enfant inquiétée par les adultes et qui a du mal à accepter sa vie, elle porte encore comme un fardeau son statut d’enfant illégitime à 47 ans. Dans son village natal à Niodior, le regard des autres lui rappelle de douloureux souvenirs. Pour autant, elle n’est pas du genre à se résigner. Avec un mental d’acier et un caractère bien trempé, elle marche seule dans sa quête personnelle. «Parfois accompagnée des tambours de Doudou Ndiaye Rose ou du flamenco de Paco de Lucha», confiait-elle. Ni cosette, ni plaintive. Fatou Diome est juste sans concessions. «Avec une femme de son caractère aux côtés de Napoléon en 1812, la Bérézina n’aurait jamais eu lieu. Elle aurait balayé l’armée de Tchitchagov du pont de Borisov d’un simple revers de la main», pour parler comme elle.
Après la parution d'un recueil de nouvelles en 2001, son premier roman, Le Ventre de l'Atlantique, lui vaut une notoriété internationale.
Fatou Diome est née en 1968 sur la petite île de Niodior, dans le delta du Saloum, au sud-ouest du Sénégal. Elle est élevée par sa grand-mère.Contrairement à ce qu'exigent les traditions de sa terre natale, elle côtoie les hommes plutôt que d'aller aider les femmes à préparer les repas et assurer les tâches ménagères. Toujours en décalage avec le microcosme de l'île, elle décide d'aller à l'école et apprend le français. Sa grand-mère met un certain temps à accepter le fait qu'elle puisse être éduquée : la petite Fatou doit aller à l'école en cachette jusqu'à ce que son instituteur parvienne à convaincre son aïeule de la laisser poursuivre. Elle se passionne alors pour la littérature francophone.
A treize ans, elle quitte son village pour aller poursuivre ses études dans d'autres villes du Sénégal tout en finançant cette vie nomade par de petits boulots : elle va au lycée de M'bour, travaille comme bonne en Gambie et finit par entamer des études universitaires à Dakar. A ce moment, elle songe à devenir professeur de français, loin de l'idée de quitter son pays natal.
Mais à 22 ans, elle tombe amoureuse d'un Français, se marie et décide de le suivre en France. Rejetée par la famille de son époux, elle divorce deux ans plus tard et se retrouve en grande difficulté, abandonnée à sa condition d'immigrée sur le territoire français. Pour pouvoir subsister et financer ses études, elle doit faire des ménages pendant six ans, y compris lorsqu'elle peut exercer la fonction de chargée de cours au cours de son DEA, fonction qui lui apporte un revenu insuffisant pour vivre.
En 1994, elle s'installe en Alsace. Elle est étudiante à l'université de Strasbourg où elle termine aujourd'hui son doctorat de lettres modernes sur Le Voyage, les échanges et la formation dans l'ouvre littéraire et cinématographique de Sembène Ousmane, tout en donnant des cours.
Elle se consacre également à l'écriture : elle a publié La Préférence nationale, un recueil de nouvelles, aux éditions Présence africaine en 2001. Le Ventre de l'Atlantique est son premier roman, paru en 2003 aux éditions Anne Carrière.
Son second roman, Kétala, paraît en 2006.
La France et l'Afrique forment le cadre de ses ouvres de fiction. Son style est inspiré par l'art traditionnel de narration, tel qu'il est toujours connu dans l'Afrique contemporaine. Avec ses descriptions précises et authentiques, un humour impitoyable et le langage tranchant, mais nuancé, qui la caractérisent, elle trace un portrait inquiétant des difficultés d'intégration à l'arrivée en France harmonisé par des épisodes entremêlés de nostalgie et d'agrément au souvenir de son enfance au Sénégal.
Biographie
La Préférence nationale, recueil de nouvelles, édition Présence Africaine, 2001
Le Ventre de l'Atlantique, roman, éditions Anne Carrière, 2003 - éditions Le Livre de Poche 30239
Les Loups de l'Atlantique, nouvelles, 2002 - Dans le recueil : Étonnants Voyageurs. Nouvelles Voix d'Afrique.
Kétala, roman, 2006, Éditions Flammarion
Inassouvies, nos vies, roman, 2008, Editions Flammarion
Le vieil homme sur la barque, récit (illustrations de Titouan Lamazou), Naïve, 2010
Celles qui attendent, roman, 2010, Éditions Flammarion
Mauve, récit, 2010, Éditions Flammarion
Impossible de grandir, roman, 2013, Editions Flammarion